SECURITÉ/KPENDJAL:KPEMBOLE, LA DOULEUR DU SILENCE D'UN VILLAGE ABANDONNÉ

 Ici,une concession sans âme

La région des savanes traverse une crise sécuritaire depuis quelques mois à cause de la menace terroriste qui plane sur le corridor frontalier togolais depuis son voisin du Nord. La situation est beaucoup plus préoccupante dans la préfecture de Kpendjal où les attaques des 14 et 15 juillet ont fait plus de vingt morts dont un policier. Et depuis, plusieurs localités plongées dans la terreur se sont vidées . Au nombre de ces villages figure KPEMBOLE, un village fantôme que nous avons visité en fin de matinée de ce dimanche 24 juillet 2022.

Le village de KPEMBOLE se trouve en réalité à une dizaine de kilomètres au Sud-Est de Pognon, le chef-lieu de la commune de Kpendjal-Ouest 2 mais pour y aller, il y a deux options:  traverser la frontière togolaise, passer par les localités de Sankoadoug , Oubiagou avant de revenir en territoire togolais pour regagner le village,  ou emprunter une piste en terre à la sortie de Tambonga ( 28 km de Dapaong) et traverser les villages de Yamadjoaga,Tanloaga, Tchimouri et Banangandi. C'est cette voie qui nous y conduit. Au marché de Tchimouri , quelques vieillards désœuvrés se reposent sous un hangar délabré. Tout près d'eux, trois jeunes gens, le regard interrogateur, nous dévisagent à notre approche. Après les civilités, il fallait les rassurer. À la question de savoir pourquoi ils semblaient  désœuvrés en pleine saison pluvieuse,  l'un d'eux explique que par ces temps qui courent, il n'est pas prudent d'aller au champ car on ne sait où se trouve l'ennemi. Après trente minutes de route surgit un village, c'est Banangande.  À la sortie du village s'étend des champs à perte de vue au flanc des collines. Le sentier caillouteux et tortueux se perd entre collines et vallées à travers une forêt touffue. La peur est bien là et grande. Dans cette zone très risquée peut surgir à tout moment d'un buisson, des hommes armés non identifiés ou des forces de l'ordre, et l'un ou l'autre pourrait facilement  nous prendre pour cible . La peur  s'intensifie quand il nous vient à l'esprit que sur ce sentier perdu, l'on peut sauter sur une mine à tout moment   mais la curiosité d'aller jusqu'au bout parvient à prendre le dessus. 

Enfin, quelques concessions noyées dans les champs annoncent le village. Ici, règne un silence de monastère. Le village compte une vingtaine de concessions toutes vides. Même pas un seul oiseau ne chante , tous semblent n'avoir pas encore fini de  faire le deuil des cinq personnes égorgées par les fondamentalistes il y a dix jours. Dans ce  village situé dans un creux entouré de collines,   les terroristes dans l'intention de semer la panique ont frappé fort et le résultat est là. Plus aucune présence humaine! Un chat, une chèvre et une tortue se sont tous précipités de se fondre dans la nature à notre arrivée. Dans la cour extérieure d'une concession de 7 cases s'entassent du bois de chauffe sous un karité. À quelques mètres de là, une charette abandonnée sans doute par son  âne dans sa fuite. Les villageois dans le sauve qui peut ont enlevé portes et fenêtres, ce qui ne laisse pas imaginer un probable retour, du moins dans un court délai. De loin, on peut voir dans la cour intérieur des calebasses , des jarres d'eau , et des tas de noix de karité , de l'or abandonné par les population dans leur fuite. Dans le vestibule, une chaise en bambou attend despéremment son propriétaire.

En vérité, il manque de mot pour décrire ce village sans vie que nous nous précipitons de quitter sur la pointe des pieds car il n'y a personne à interroger afin de se faire une idée du film d'horreur de ce jeudi inédit. Désormais les efforts de plusieurs mois de labeur sont abandonnés entre les mains des singes, nouveaux maîtres des lieux. C'est bien là où se mêlent et s'entremêlent douleur silencieuse et silence douloureux. 

Robert DOUTI